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Photo du rédacteurAlexandra G.

Quand je pense au yin yoga...



Lorsque je pense au Yin Yoga, je vois d'abord les méridiens, leur cheminement multicolore qui dessine des autoroutes où circule sans cesse notre énergie vitale, notre propre potentiel. 

J'imagine ensuite les fascias - ces merveilleuses toiles d'araignées en dentelle dont je ne savais rien avant de suivre mon premier cours - comme de jolis fourreaux délicats où ranger nos muscles, ou bien des hamacs prêts à accueillir leur fatigue Mais l'image la plus nette - celle qui ne me vient pas immédiatement et qui pourtant perdure, se précise mieux que les autres - ressemble à une sorte d'aquarium tranquille où flottent de gros poissons informes, endormis mais souriants : mes organes, ces bienheureuses créatures. 


J'ai toujours eu un rapport très conflictuel au corps humain : il y a chez moi une soif inextinguible de connaissances, de comprendre le moindre mécanisme, d'aller à la rencontre de ce qui nous constitue détail par détail.  Mais cette soif a souvent été (et l'est encore parfois) contrariée par son pendant : un drôle de malaise, de vertige qui me rend un peu trop sensible à certaines informations. Ma tête peut se mettre à tourner ou des nausées me faire signe... Et me voilà contrainte de remettre à plus tard mon exploration des mystères anatomiques.  Par bonheur, grâce à la pratique du yoga, ma curiosité a fini par prendre le dessus, si bien que lorsqu'il m'a fallu ouvrir des livres d'anatomie lors de ma première formation professorale, j'ai simplement été ravie d'en apprendre davantage, sans autre sensation que celle de ne pas toujours tout comprendre !  Mais il s'agissait là de notions quelque peu superficielles, d'une approche globale en guise de base, concernant principalement muscles et articulations, colonne vertébrale et autres os fantastiques que l'on pouvait contempler à loisir sur un squelette particulièrement docile.  Rien concernant l'intérieur, ce qui, moi, me passionnait, m'intriguait, et par conséquent, m'effrayait davantage.  Tout l'univers, ces multiples galaxies contenues dans un seul être humain, je voulais les découvrir, les comprendre, et même réussir à me les figurer sans me sentir mal à l'aise ensuite.  C'est grâce au Yin Yoga que j'y suis parvenue. D'une part, puisque j'ai appris à mieux lâcher-prise, à m'abandonner réellement à ce corps qui devenait mon ami, au fil des minutes et des expirations - un corps dont, certes, je m'étais déjà rapprochée jusqu'à l'accepter enfin, et même à l'aimer, via ma pratique de hatha, mais sans oser toutefois regarder "au-dedans" Cela s'est produit avec le temps, les images se sont créés d'elles-mêmes, plus précises mais aussi plus fantasques peut-être, cours après cours.  Il n'y a pas de tricherie en yin, impossible de faire un mouvement à moitié, et encore moins d'aller plus vite pour enchaîner sur la posture suivante : on est plus présent que jamais à soi-même, dans le corps, d'où la nécessité de se laisser-aller. Pas de tricherie, et pas de lutte non plus.  Alors, tandis que mon mental a fini par s'adapter à ces longues minutes de silence et d'immobilité, passées dans des positions plus ou moins confortables, mes sensations physiques, jusque-là laissées en tache de fond, se sont fait la part belle, mon corps en première ligne, sur le devant de la scène.  Par le travail du souffle, j'ai petit à petit réussi à m'habiter pleinement, à revenir à l'intérieur, sans détour. Je n'étais plus un esprit dans un corps, les deux totalement dissociés, mais simplement un être vivant à part entière, constitué de chair et d'os, certes, mais aussi de sang et de viscères, une planète à moi toute seule en quelque sorte, avec mon propre ciel, ma propre terre, des continents, leur faune, leur flore... Bref, un véritable écosystème dont il me fallait prendre soin puisqu'il s'agissait tout simplement de mon "moi", enfin perçu dans sa globalité.



Nous vivons dans une société qui intellectualise énormément notre propre personne, comme si nous nous résumions à nos pensées, à nos traits de caractère ou à notre apparence. Mais toutes ces choses que l'on place en exergue - invoquant une hiérarchie inconsciente : des organes "propres" tels que le cerveau, la peau ou le cœur, et des organes "sales" plus bas, plus loin, auxquels on préfère ne pas penser - sont directement liées à nos entrailles, et donc dépendantes d'elles, qu'on le veuille ou non. Les recherches récentes ont démontré que le système digestif a tout autant son mot à dire quant à la météo de notre humeur que le cerveau, de même que l'image que l'on verra au réveil dans le miroir dépendra en grande partie de la santé de notre foie... Il ne s'agit là que d'exemples parmi tant d'autres, des évidences peut-être pour certains, mais que nous avons parfois tendance à oublier, préférant faire abstraction de ce vaste monde sous notre peau Cet aspect de notre existence, ce "soi" tout en entier et organique, tentons, avec patience, et curiosité, de l'apprivoiser : chaque jour, ayez une pensée envers votre propre famille interne, votre estomac, vos reins, votre vessie, votre pancréas, vos intestins, votre rate, vos poumons, votre vésicule biliaire, votre foie, votre coeur, et même envers votre cerveau, ce petit prétentieux qui dort son propre bocal, se croyant supérieur aux autres ! Puis souriez-leur mentalement, derrière la vitre de l'aquarium : ils vous renverront ce sourire, paisibles.

Chacun son rôle, chacun sa place, ils veillent sur vous, et vous, sur eux. N'est-ce pas incroyable ?

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