C'était quand, la dernière fois que vous avez fait quelque chose avec lenteur, délibérément ?
Il est plus facile de se rappeler des moments où le quotidien nous impose de ralentir, comme lorsque le métro s’interrompt entre deux stations, qu’une personne âgée passe devant nous à la caisse, ou même au bout du fil, tandis qu’une musique d’attente infernale semble durer pour l’éternité… Comment réagissons-nous alors, face à ce type de situation ? Est-ce qu’au lieu de s’impatienter, de laisser l’agitation monter au-dedans, nous pourrions alors, outre accepter notre impuissance, l’apprécier, et considérer ces instants comme des opportunités pour créer de l’espace, inviter une pause, dans le tourbillon de nos journées ?
Il suffit parfois de se distancier de ce qui semble si urgent, si important, et dans ce doux recul, posé en spectateur, non plus acteur au sein de notre vie, d’observer la scène : les gens autour, la vie, la ville, ou à l’inverse, de fermer les yeux et d’écouter son souffle comme s’il s’agissait d’une chanson, d’un son inédit.
De se souvenir que nous avons le temps, ou du moins, qu'il n'appartient qu'à nous de le prendre.
Essayez, dès que votre élan sera stoppé à nouveau : puisqu’il est impossible de changer le cours d’un événement, changeons plutôt notre attitude, notre manière de réagir, confronté à celui-ci. Tout est question de perspective, et la lenteur implique en effet de regarder les choses à travers un prisme bien différent. Mais plus qu’une question de patience, de tolérance à construire, c’est d’une révolution silencieuse, tout en discrétion, dont il faut dresser haut les couleurs : l’éloge de la lenteur (cette expression me semblant familière, je viens de chercher sur Google, et il s’avère qu’un livre porte ce titre, voilà ma prochaine lecture !). Dans ce monde où tout va d’ores et déjà trop vite, en permanence, pourrions-nous, ensemble, inverser la donne et réhabiliter la sagesse de la tortue plutôt que la détermination du lièvre ?
La semaine dernière, après qu’une élève dans un cours de hatha m’ait confié être particulièrement fatiguée ces temps-ci, et venir presque à reculons à la rencontre de son tapis, je lui ai suggéré dans ces moments-là, quand le corps semble vivre dans le refus, épuisé, d’opter plutôt pour du yin. Elle m’a regardée, incrédule, pour répondre « mais à quoi ça sert puisqu’on ne bouge pas ? ».
…
Voilà le reflet même de notre société, le hamster dans sa roue qui s’évertue à tourner sans avoir nulle part à aller.
Si ce type de réflexion m’agaçait auparavant, maintenant, j’y prends presque plaisir, car je sais comment les désarçonner en deux étapes : d’abord, jouer sur la personnalité « yang » (voire l’égo…) de l’interlocuteur, en rappelant qu’une pratique régulière de yin, nous rendra « meilleur » (plus souple, plus concentré, plus à même d’aller vers les expressions complètes des postures) en yoga dynamique (ça, c’est la technique un peu putassière, je l’avoue… mais faut ce qu’il faut !) ; puis, je demande à ce que l’on m’accorde six minutes, et propose alors la posture du lézard, trois minutes de chaque côté, « juste pour voir… » (« alors comme ça, ça ne sert à rien si l’on ne bouge pas, hein ? »).
Cette même élève m’a écrit quelques jours après pour s’inscrire à mon prochain cours de yin. Silencieuse, discrète, mais révolution quand même !
Aussi, cette semaine (sans doute la plus chargée pour moi de ce début d’année), je vous propose - et m’impose ! - un retour à soi loin de toute hâte, à mille lieues de nos frénésies, dénué d’empressement.
Une pratique toute en indolence, au ralenti.
Ouvertures de hanches dans lesquelles se laisser fondre, guerriers que l’on vient habiter pleinement, longtemps, et temps méditatifs en guise de transitions, à l’écoute de nos ressentis, sans mouvement, sans impatience. Comme si nous recherchions des ersatz de savasana dans chacune des postures, dans chaque respiration. Et pour le yin : moins d’asanas, des plages d’immobilité plus poussées. Prêts à suspendre le cours du temps, porté(e) par votre tapis ?
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